Irena Elsner – souvenirs

„Le docteur vétérinaire, Wilhelm Koops de Lębork, acheta le domaine en 1934 pour une somme de 400 000 RM. Il était déjà presque à l’âge de la retraite et son métier il ne le pratiquait que de temps en temps  dans la région. Le domaine de Ciekocino et la forêt avait une superficie de plus de 800 ha: 381 ha de terre cultivable, 39 ha de prairies, 57 ha de pâturages, 315 ha de forêts. Quant aux animaux, il y avait: 43 chevaux, 155 têtes de bétails, 350 cochons. Tout était bien sûr géré par des administrateurs expérimentés, Koops ne fut que propriétaire.

L’épouse de Koops, Lore hérita un considérable capital en or. Koops savait en disposer sagement et le plaçait à temps opportun dans de bonnes banques. Bref, ce fut une famille riche. Ils avaient à Lębork jusqu’à la fin de la guerre leur appartement. La famille n’habitait pas toujours au palais de Ciekocinko. Probablement les époux Koops n’avaient pas de vie harmonieuse. Lore Koops souffrait de dépression et, en 1938, elle se suicida: elle se noya à Lębork dans la rivière Łeba. On l’enterra au cimetière de Ciekocino. Comme à l’époque les suicidaires étaient enterrés dans des tombes à part, on indiqua la place de la tombe de Lore au fond du cimetière et peut-être  grâce à cela sa tombe existe toujours. Si je ne me trompe c’est le seul tombeau allemand dans ce cimetière.  Au cours des dernières années, on enterrait les Polonais jusqu’à cette place, mais je ne pense pas que l’on aurait détruit cette tombe aujourd’hui comme on le fit avec les autres tombes allemandes dans ce cimetière.

Les époux Koops avaient quatre fils. L’ainé Klaus est mort à l’âge de 21 ans le premier jour de la guerre. Heinrich, né en 1920, à l’âge de 12 ans tomba malade de la poliomyélite et resta jusqu’à la fin de sa vie invalide. Heinrich, après la guerre devint enseignant, il obtint le titre de docteur, sa passion fut l’histoire du district de Lębork. Son frère Wilhelm, plus jeune de deux ans, obtint une formation d’agriculteur et avait l’intention de se charger du domaine à Ciekocinko. L’expérience professionnelle, il l’acquit chez Ulrichs à Lubiatow. Les deux familles étaient très amies. Le fils d’Ulrichs, Hermann (il y a un mois il fêta son 93e anniversaire!) est „mon homme”: il se souvient de tout et de tous vraiment. Le fils cadet des Koops s’appelait Peter (né en 1924). Quand Peter avait 16 ans il fut blessé au genou pendant la chasse. Depuis, sa jambe était rigide. On ne le recruta donc pas dans l’armée pendant la guerre. Quand en 1945 les Russes entrèrent sur ces terrains, Peter organisa le maquis. Il ne voulait pas s’enfuir avec son père. Les Russes connaissaient son activité mais ils n’avaient pas réussi à découvrir sa cachette. Peter se cachait dans un abri dans la forêt près de la métairie Bischof avec son ami de Ciekocino Hans-Joachim Gemkow, âgé de 16 ans. On dit que parfois les jeunes font devant leurs tentes des mosaïques de capsules de bouteilles de bière qu’ils ont bues…. Peter Koops, devant la sienne, posait les casquettes des soldats russes qu’il avait tués. „Mon homme” racontait que lorsqu’on a découvert la cachette de Peter, devant sa tente il y avait 36 casquettes! Hans-Joachim et son père ainsi que beaucoup d’autres hommes de la région furent déportés par les Russes en Union soviétique. Le père y trouva la mort et le fils ne rentra du camp de prisonniers de guerre qu’en 1955. Les Russes avaient réussi un jour à découvrir la cachette de Peter et le fusillèrent. Son cadavre resta dans la forêt pendant de longues journées, il était interdit de l’enterrer. Ce n’est qu’après deux semaines que l’épouse du pasteur Benckendorff de Ciekocino  creusa  la tombe et l’enterra.

Wilhelm Koops fit couler tout l’alcool de la distillerie dans la canalisation. Les Russes l’ayant appris, furieux, voulaient se venger sur le „capitaliste”. Au dernier moment Koops réussit à fuir par la forêt à Lubiatow chez Ulrichs. J’ai décrit les détails de cette fuite dans mon livre. Koops a réussi à fuir en Occident. Le 10 mai 1964, il mourut dans un accident de voiture à l’âge de 83 ans. Après la mort de madame Koops en 1938, tout le monde savait dans la région que le docteur Koops avait une liaison amoureuse avec sa femme de ménage de 20 ans plus jeune que lui – Hedwige Reckow de Lubiatow. Il fut ainsi jusqu’en 1945. Ils réussirent ensemble à fuir en Occident. Après la guerre,  Koops épousa Hedwige.

 

Belle Alliance appartenait à une certaine époque à Sasino. Ce fut là qu’un certain Rants (officier et ingénieur) construisit une auberge et l’appela Belle Alliance. Rants était propriétaire de Sasino à partir de 1823,  ce fut aussi lui  qui construisit à  Sasino le palais et y transféra  son auberge, mais l’emplacement précédent portait  jusqu’à 1945 le nom officiel (aussi sur les cartes) de  Belle Alliance.  Pendant plus de cent ans, il y avait quelques bâtiments des fermiers qui avaient acheté à l’époque leurs fermes dans la région quand Sasino cessa d’être domaine et fut morcelé.

 

En mars 1945, les Russes trouvèrent dans la cave du palais à Sasino un soldat soviétique fusillé qui probablement se tua lui-même en essayant d’ouvrir à l’aide de sa mitraillette les caisses avec du vin. Les Russes tuèrent pour se venger trois personnes civiles. Peu  après, ils tuèrent aussi l’instituteur local Karl Falk et le fermier Wilhelm Janz.  Les habitants étaient obligés d’ensevelir tous les cadavres dans une tombe dans le parc  derrière le palais. Après le retrait de l’unité allemande des forces aériennes qui protégeait  près de Sasino l’espace aérien de la région de Gdansk, cinq de ses membres restèrent à Stilo – ils furent aussi fusillés par les Russes. Les soldats furent enterrés par le gardien des dunes Schuran là où ils trouvèrent la mort dans la forêt. Mais,  je me suis trop éloignée  de Ciekocinko!…”

 

2010, Irena Elsner