Notes de ma vie – Wend Ewest

„Fait déjà après „L’histoire de la famille Ewest” écrite par ma sœur Frieda Hilgendorff.

Nos parents étaient: Paul EWEST, né le 23.09.1862 à Groß-Behnitz, district Westhavelland/Marche [Brandebourg] et Margarete Lambeck, née le 08.09.1863 à Górsk près de Toruń/Prusse occidentale. Ils se sont mariés en 1889, mon père se chargea de la gestion des biens des chevaliers Zackenzin (Ciekocino), district Lauenburg (Lębork)/Poméranie qui appartenaient à Monsieur von Braunschweig. C’est là-bas que naquirent mes sœurs: Frieda, Erna et Margarete (appelée Dete). Vers 1896, mon père acheta les biens Szczenurze dans le district de Lębork où vint au monde sa quatrième fille (v. Wittke), et ensuite quatre fils: Heinz-Hermann 1899, Hans-Harald 1900, moi – Wend 6.03.1902 et Paul-Werner 1903. A Szczenurze, habitaient plus tard aussi les parents de mon père. Il les prit chez soi. Quand mon père vendit Szczenurze, mes grands-parents déménagèrent à la station balnéaire au bord de la Baltique (Łeba) où ils sont morts. Ils sont enterrés dans un petit cimetière privé dans le parc de Zackenzin. De Szczenurze, je n’ai presque pas de souvenirs car, en 1905, mon père acheta Zackenzin de Monsieur von Braunschweig, après avoir vendu Szczenurze. Le vieux Braunschweig vendit le domaine assez bon marché car il en avait déjà assez – il dit: „vous connaissez bien ce domaine et vous arriverez à vous en sortir”. Nous venions tout juste d’emménager à Zackenzin quand la maison d’habitation brûla. Mes parents habitèrent alors d’abord dans un logement provisoire dans l’écurie. Ensuite, mon père acheta les biens des chevaliers à Bychowo, aussi environ 4000 arpents, où nous, garçons, nous ne sommes venus qu’après un certain temps. Nos sœurs vivaient déjà à Gdańsk, à l’école en pension. Avant l’arrivée de nous trois à Bychowo (mon frère ainé Heinz-Hermann est mort enfant à Szczenurze), nous habitions chez la famille Wittke à Przebędowo – domaine voisin de Bychowo.  Avec le frère cadet de l’oncle Curt Herbert, nous faisions de mauvais tours très souvent. Une fois nous avons attaché à la queue du chien une souricière et le chien ahuri montait et descendait l’escalier en faisant du bruit. Le père des oncles Curt et Herbert s’approcha un jour avec nous, petits vauriens, à son armoire, en sortit une bouteille de vodka et dit: „Et bien,  mes garçons,  je vous donnerai maintenant un coup à boire”. Herbert avait notre âge, il est né en 1900 et il était une véritable incarnation du diable – toute la journée il ne faisait que de mauvais tours et amenait au désespoir sa mère et la vieille tante Gustchen. Après ce séjour, tous les trois, nous sommes allés à Bychowo. Nous y sommes restés pendant plusieurs années et pendant ce temps mon père construisit à Zackenzin une nouvelle maison d’habitation. Mais mes plus beaux souvenirs de l’enfance sont ceux de Bychowo. Nous y jouissions de tant de liberté que seulement un enfant vivant à la campagne pouvait connaître. Ma mère veillait à notre éducation. Chaque après-midi, l’instituteur Rensius venait du village voisin. Nous, garçons, nous étions assis à la fenêtre et nous  regardions, et quand il faisait mauvais temps, nous étions bien sûr contents qu’il ne venait pas. Malheureusement, cette liberté totale n’a pas duré longtemps, tous les trois, nous sommes allés à Gdańsk au Gymnase royal dans des classes préscolaires et à la maison nous ne rentrions que pour les vacances.

D’abord nous habitions en pension chez tante „Hans” (Hanna Nissen). C’était l’une des nombreuses sœurs de ma mère, veuve et mère du grand chanteur Hans-Herman Nissen. Avec l’oncle Hans, j’étais très lié tout au long de ma vie car nous grandissions ensemble bien qu’il fût un peu plus âgé que nous. Il allait au même gymnase et déjà à l’école il savait très bien parodier les instituteurs ce qui les énervait. Par exemple: „Si tu m’imites une fois de plus quand je parle, Nissen, sacré vaurien, je vais tout de suite écrire une remarque dans le journal de classe”. Ou: „Tais-toi quand je parle. Moi et ce morceau de bois, nous te forcerons au respect!”. L’oncle Hans a construit une grande cage à oiseaux 1m x 1m et il  y tenait 20 oiseaux forestiers. Il nous construisait des cerfs-volants et ensemble nous les faisions voler. Lorsqu’après le baccalauréat, il continua son éducation pour devenir commerçant, et partit  à Berlin (sa mère alla avec lui) pour former sa voix, nous sommes allés en pension chez les Scheibel, rue Seredyńskiego 8. Nous avons passé chez eux les meilleures années car chez tante Hans, nous ne nous sentions pas trop bien. Elle manquait toujours d’argent, tandis que chez madame Scheibel nous avions les meilleurs soins possibles. Elle nous faisait des  vêtements de marins très en vogue à l’époque, et, quand ils furent usés, elle nous les changeait à la grande joie de ma mère. Elle cuisinait et s’occupait de nous – et elle le faisait très bien. Je me rappelle encore aujourd’hui le rôti de porc et les nouilles au levain. Ma mère venait plus souvent à Gdańsk pour prendre de nos nouvelles et savoir comment nous étudions. Elle allait voir  le directeur de l’école qui lui organisait des rencontres avec les professeurs. Chez madame Scheibel, nous avons aussi pendu des cages à oiseaux. Et quand ma mère venait à Gdańsk, ayant choisi avant au magasin zoologique de nouveaux oiseaux, nous l’emmenions  pour qu’elle nous les achète. Notre père pris en bail pour nous un jardin. Il envoya de Zackenzin un pavillon construit par notre charron. Ainsi nous – enfants de la campagne – nous avions notre propre lieu de loisirs. Nous avions pu aussi élever des lapins et les vendre. J’ai de très beaux souvenirs de  Gdańsk. A la piscine militaire, nous avons appris à nager, nous allions chez les marins sur le bateau et nous étions très fiers quand ils nous vendaient de vieilles cravates intactes. Malheureusement, après quelques années, monsieur Scheibel mourut et sa femme ne voulait plus s’occuper des enfants. Pendant les vacances, nous venions encore à la maison. A Zackenzin, nous avions aussi des poneys. Mon frère Paul a peint un jour son poney avec du goudron pour en faire une zèbre. Il a fallu beaucoup d’effort pour le ramener à l’état normal. Après madame Scheibel, nous allions en pension chez ma sœur Ilse qui habitait à l’époque à Gdańsk. Elle était marié avec le lieutenant Sigurd Eschenbach qui mourut pendant la guerre (ce ne fut qu’après qu’elle se remaria avec l’oncle Curt von Wittke). Mais nous ne nous sentions pas bien chez Ilse, elle était sans cesse occupée et ne faisait presque pas la cuisine. Nous avons donc déménagé chez ma sœur ainée Friede qui aussi s’est marié à Gdańsk. Chez elle, nous dormions avec son fils ainé Jochen qui avait à l’époque 3-4 ans. En ce temps-là nous n’étions à Gdańsk que Paul et moi. Hans-Harald est allé à l’Ecole agricole à Schiefelbein/Poméranie. Paul et moi, nous avons été confirmés dans la belle Eglise de Sainte Marie par le pasteur Daniel. Ce pasteur habitait non loin de chez nous à Hildegardstraße à Wilmersdorf, mais malheureusement je ne le savais pas. Je ne l’ai appris qu’en lisant son nécrologue, dommage, je lui aurais volontiers rendu visite, et lui il serait content de rencontrer après tant d’années le garçon qu’il a confirmé à Gdańsk. Ma sœur Erna, encore avant la guerre – quand mes sœurs habitaient en pension, étudiant à l’école à  Gdańsk – jeune fille est morte de pneumonie.

 

Et maintenant je voudrais vous parler du domaine Zackenzin. Quand la grande maison fut déjà prête, y habitèrent mes parents et nous y habitions aussi quand nous étions à la maison. Ce fut dans cette maison qu’eurent lieu les fêtes de mariage de mes trois sœurs, la première qui se maria fut Frieda en 1911. Ma mère avait beaucoup de sœurs. Mon père dit un jour qu’il ne savait pas combien de sœurs avait sa femme.  Quand il s’est marié, elles se sont présentées l’une après l’autre et celles qui avaient perdu leurs maris profitaient du soutien de mon père. C’est pourquoi, nous garçons, nous sommes allés à Gdańsk d’abord en pension chez tante Hans. L’un des frères de mon père, qui l’aidait dans l’exploitation, vivait à Zackenzin pendant la construction de la maison. Et comme il n’était pas marié, y vint vivre aussi l’une des sœurs de ma mère, tante Marthe avec sa fille pour s’occuper de la maison. On peut donc dire que Resi vivait à Zackenzin et, jusqu’à son mariage, elle passa beaucoup de temps chez nous et elle en  garde toujours de bons souvenirs. Y vivaient aussi les „tantes” – aussi sœurs de ma mère – tante Ronchen (Veronika) et tante Trusch (Terese), les deux célibataires. Ronchen était institutrice, et Trusch savait très bien faire la cuisine et, pour toutes les fêtes de mariage de mes sœurs et pour d’autres occasions, elle préparait d’excellents et très bons plats. Une fois, elle a fait un gâteau à la broche –on le faisait à petit feu. Il fallait sans cesse tourner et après chaque tour couvrir de  pâte épaisse (de 60 œufs !), il avait donc l’air d’un arbre avec des anneaux de croissance annuelle. Elle s’était évanouie à cause de la chaleur – il paraît qu’elle avait dit „tourner, tourner, ne pas cesser”, et elle tomba. Ces tantes avaient une maison à la station balnéaire au bord de la mer Baltique, à Łeba, où elles recevaient des vacanciers. Les vacanciers venaient chaque année car tante Trusch faisait si bien la cuisine. Ma mère y avait aussi une maison – on disait – une villa. Nous garçons, on nous envoyait là-bas en été pendant les vacances. On faisait venir de l’eau de mer en tonneau porteur, tiré par des poneys. On la faisait chauffer et elle servait à nous baigner. Nous faisions des promenades  sur des poneys  le long des plages, mais cela irritait les vacanciers car les poneys y faisaient leurs ordures. A Zackenzin,  mes parents recevaient souvent des invités dont entre autres quatre artistes peintres: Saßnick, Genutat, Götze et Wohlgemut. Ils restaient chez nous souvent pendant des semaines et nous avions à la maison beaucoup de très bons tableaux qu’ils avaient peints. J’avais tous ces tableaux encore plus tard à Gliegig [il s’agit probablement de Glienig – note du traducteur]. Le grand tableau représentant l’Eglise de Sainte Marie à  Gdańsk fut exposé à Paris en 1911, et ma mère l’a acheté ensuite à  Gdańsk. L’un des tableaux peint par Wohlgemut dans le parc avec le chêne se trouve maintenant chez Paul-Heinrich. Nous recevions aussi des gens qui venaient faire la chasse, nous échangions des visites entre voisins. En hiver, on organisait des chasses en selle et des chasses à courre pendant lesquelles nous garçons nous pouvions aider. Souvent venait chez nous l’oncle Hans Nissen – aussi souvent qu’il le pouvait – qui aimait beaucoup mes parents et surtout mon père. Zackenzin était, du point de vue du paysage, un très beau domaine. Plus bas, dans la vallée, il y avait un ruisseau et le domaine en prit le nom. Dans ce ruisseau, sous les pierres (comme dans un ruisseau des montagnes) et sous les racines des arbres, il y avait des écrevisses et dans le ruisseau des truites que l’on pêchait et que nous mangions. S’y trouvait aussi une belle forêt et en proportions appropriées des champs, des prairies et des enclos grillagés, ainsi que la distillerie comme dans tous les domaines en Poméranie et à Brandebourg. Souvent ces champs et ces prairies étaient éloignés, il était donc difficile de les aménager. Le domaine Bychowo était idéal du point de vue du paysage – plat comme une table. Mais mon père étant à Zackenzin voisin, n’était pas en mesure de le gérer donc il l’a vendu. Mes parents, et en particulier ma mère aimaient beaucoup  Zackenzin. De la tour de la maison on voyait la mer Baltique! Nous allions à la mer principalement le dimanche après-midi, en charriot, et le voyage durait une bonne heure. En plus des écuries (que mon père ordonna de construire à nouveau) le domaine se composait de la grange, de la distillerie, de l’atelier du charron et de la forge et bien sûr des maisons pour les ouvriers agricoles. Plus loin, vers le village, il y avait quelques fermes et l’église. Chaque dimanche nous allions à l’église et nous occupions avec notre grande famille un banc entier. Lorsque plus tard à Berlin, à Brudhsalerstr., nous avions un nouveau propriétaire de la maison, monsieur Schmöckel, il vint un jour chez nous et dit quand il m’a vu: vous ressemblez à votre père comme deux gouttes d’eau et il se souvenait encore bien de mes parents surtout de ma mère. Il  a dit alors que c’était un honneur pour lui que le fils du vieux monsieur Ewest était maintenant son locataire. Je lui ai demandé d’où il me connaissait, il répondit qu’il avait à la campagne un oncle, dans ces fermes où il passait d’excellentes vacances, et lui-même il habitait à Słupsk. Il parlait avec beaucoup de respect de mes parents. Ainsi le souvenir de mes parents nous apporta la bénédiction.

Pendant la Première guerre mondiale, mon père avait 400 prisonniers russes grâce auxquels il aménagea les prairies détrempées et d’autres terrains semblables. Ces gens habitaient dans les „casernes ouvrières” – une grande maison où en temps de paix habitaient pendant la récolte des pommes de terre des ouvriers polonais itinérants qui venaient régulièrement travailler avec leur cuisinier. Mon père  constata aussi que dans un endroit sous la terre se trouvaient des gisements de lignite. Mais son exploitation s’avéra non rentable comme on le constata d’office. Nous extrayions cependant pendant des années la tourbe que l’on brûlait dans la distillerie. Les officiers du groupe de prisonniers habitaient dans notre maison, mangeaient avec nous à la même table et se sentaient très bien chez nous. Ma mère avait offert à l’un des officiers, qui en civil était médecin, un dictionnaire allemand et il apprit très vite l’allemand. Il disait toujours: „Je n’oublierai jamais grand-maman!” A la maison, il y avait un haut vestibule et c’était là que d’habitude on plaçait un grand sapin de Noël. L’instituteur  venait avec les enfants de l’école et nous chantions tous des chants de Noël et les enfants recevaient des cadeaux.

Quand j’ai quitté l’école, dans le cadre de laquelle j’avais  fait mon année de service, je suis d’abord resté six mois à la maison et mon père m’apprenait comment gérer l’exploitation et le 1.04.1920 je suis allé comme apprenti chez monsieur von Lettow-Vorbeck à Dargomyśl, district Resko. Le 1.04.1921, j’ai changé d’exploitation et je suis allé chez monsieur Schulz à Bukowo, district Sławno. Dans les deux domaines fonctionnaient des distilleries et, à Dargomyśl, il eut en plus une fabrique de flocons. Voulant me perfectionner dans l’élevage du bétail, je me suis rendu le 1.04.1922 pour six mois en Prusse orientale chez monsieur Rosenow dans le domaine d’Etat Brandebourg, district Heiligenbeil (Mamonowo). Il était difficile à l’époque aux jeunes gens de trouver de tels endroits d’apprentissage dans l’agriculture où l’on pourrait vraiment apprendre quelque chose. Partout dans les domaines venaient les fils et les beaux-fils qui rentraient de guerre et étaient employés comme apprentis et inspecteurs (fonctionnaires agricoles). Et nous, nous étions trois fils et tous nous voulions travailler dans l’agriculture. Il était encore plus difficile d’obtenir le poste de fonctionnaire agricole subalterne. Ce fut la raison pour laquelle mon père pris en bail le domaine Kawcze, district Miastko, où d’abord alla mon frère ainé Hans-Harald. Mon frère Paul-Werner (appelé Paul ou Pauli) et moi, nous nous sommes rendus à Göttingen pour étudier l’agriculture. Mais je n’y ai pu rester que deux semestres car Hans-Harald  mourut subitement dans un accident de chemin de fer en route pour Kawcze. Je devais donc me rendre à Kawcze où je suis resté de 1.04.1923 à 1.01.1926 et où je gérais le domaine pris en bail. Les bâtiments et les écuries étaient en très mauvais état et ma mère pendant de longues années poursuivait en justice le propriétaire car conformément aux conditions du bail, c’était le propriétaire qui répondait du maintien des bâtiments. En fin de compte, le tribunal donna raison à ma mère et elle gagna le procès. Mais ce fut aussi le temps où le bail se termina et, le 1.01.1926, je suis rentré à Zackenzin. Là, j’étais obligé de m’occuper de l’ensemble de l’exploitation  et d’aider ma mère car mon père était très malade (le cancer) et souffrant. Il passa une opération, on lui installa un anus artificiel et il n’était plus en état de s’occuper du domaine. En plus, il souffrait de la très douloureuse névralgie du trijumeau que l’on soignait en lui appliquant des piqures d’alcool (on n’opérait pas encore à l’époque ce genre de maladie), cette thérapie lui fit perdre un œil. Il avait après toujours un œil en verre. Mon frère Paul émigra, en 1926, en Afrique du Sud-Ouest [aujourd’hui Namibie – note du traducteur) pour s’installer là-bas comme fermier ce qu’il réussit malgré les débuts difficiles. Ici, il ne voyait pas de possibilités de faire fortune dans l’agriculture. Car, lorsque notre père commençait, jeune homme aussi sans moyens,  il pouvait compter toujours sur des crédits bon marché avec un bas taux d’intérêts. Ce ne fut qu’ainsi qu’il put acheter trois domaines: Szczenurze, Zackenzin et  Bychowo, et les prix de la terre étaient bas et stables. Les années après la Première guerre mondiale étaient les plus dures pour l’agriculture. La guerre perdue, l’économie dispersée, un total changement de conditions de vie et d’habitudes. D’abord l’inflation, ensuite la déflation. Et puis vint la crise économique mondiale. Les plus bas prix stables pour les produits de la terre, des taux d’intérêts élevés. Les engrais chimiques et les semences très chers. Nous avons remboursé quelques hypothèques plus petites, nous avons pris une de la RVA (Agence d’assurances du Reich, aujourd’hui BFA) et la grandeur de l’hypothèque était tout à fait conforme aux possibilités des revenus du domaine ayant le taux d’intérêts initial. Mais, tout à coup, le taux d’intérêts monta et la RVA voulait 1,2% par jour! Ce qui signifiait plus de 180%par an. Ce fut trop lourd pour nous. En ces années apparut ladite « chevalerie » qui, dans le cas de domaines ayant des problèmes, convertissait les dettes et engageait un bon administrateur. Mais ce phénomène n’eut lieu malheureusement qu’en Marche de Brandebourg, et non pas en Poméranie. Ma mère s’adressa à la Direction générale à Szczecin, dirigée par  monsieur Fließbach-Kurow, notre voisin, qui faisait des conversions de l’endettement de petite envergure. Mais eux, ils nous ont envoyé une femme qui paraissait-il avait une expérience dans le négoce. Mes parents étaient obligés de quitter le domaine pour plusieurs mois et moi je suis resté et je m’occupais de l’exploitation avec cette femme. Elle ne connaissait rien en agriculture et elle ne nous a aidés en rien. Nous étions donc contents quand elle s’en alla. En ces temps difficiles, partout, non seulement en Poméranie,  tombaient en faillite de grands et de petits domaines et exploitations paysannes. C’était la raison pour laquelle Hitler créa lesdits „Erbhof” [exploitations héréditaires] d’une grandeur jusqu’à 400 arpents que l’on ne pouvait ni vendre ni faire saisir. Ces mauvais temps duraient jusqu’à 1932. En cette année, la RVA imposa au domaine Zackenzin une administration par commissaire et ils me choisirent comme commissaire. Ils avaient reconnu que je n’étais pas fautif de la mauvaise situation financière et que je savais administrer. En 1933,  Zackenzin fut vendu aux enchères. Ma mère mourut subitement le 19.06.1932 à cause d’une embolie. La perte du domaine Zackenzin, auquel elle consacra tout son cœur et pour lequel elle luttait durant des années, lui fut épargnée, elle n’était pas obligée de le vivre. Cela lui aurait brisé le cœur. Heureusement, elle n’était plus quand ma sœur Ilse (v. Wittke), étant en bonne santé, est morte  en 1934, à l’âge de 34 ans, après quelques jours de souffrances à cause de la diphtérie laryngée.

Zackenzin fut acheté pendant la vente aux enchères par le vétérinaire du district, le docteur Koops qui s’était enrichi considérablement pendant la guerre. A l’époque,  on transportait le bétail de la Prusse orientale vers le Reich et le poste frontière avec le couloir polonais se trouvait dans le district Lębork. Kroops, en tant que vétérinaire d’office, devait contrôler la santé des animaux. En pratique, il jetait seulement un coup d’œil dans les wagons qui venaient scellés et  y posait le tampon que tous les animaux étaient sains. Pour un porc, il recevait 1 mark! Et pour le bétail bien plus. Il suffit donc de s’imaginer combien de porcs se trouvaient dans un wagon. Mais Zackenzin ne lui apporta pas du bonheur. Sa femme ne voulait à aucun prix déménager (il habitait à Lauenburg) et elle se suicida dans le Lac Łebsko. Deux de ses fils allèrent à la chasse à Zackenzin, se trouvant l’un en face de l’autre des deux côtés de la prairie, ils se sont blessés. L’un des fils disparut, l’autre est mort pendant la Seconde guerre mondiale. Il lui resta un fils, paralysé depuis l’enfance, sur un fauteuil roulant.

Mon père déménagea chez tante Dete à Połczyn Zdrój où son mari, le docteur Werner Duwe (frère de tante Hanna) était médecin-chef à  l’Hôpital des Johannites. Moi, je suis parti chez Paul en Afrique du Sud-Ouest avec l’intention d’y rester. Mais, à l’époque, il n’y avait rien d’intéressant, rien bon marché à acheter, la belle époque pour l’immigration se termina. Et sincèrement  ce pays sec ne m’avait pas trop plu – à la différence de Paul qui du premier moment de son séjour en tomba amoureux. L’oncle  Paul m’envoya après quelques semaines en voyage à travers le pays pour que je puisse tout voir. En juillet  1936, je suis rentré pour vendre la maison héritée de ma mère, Villa Margarete à Łeba, et j’avais l’intention de revenir en Afrique. J’avais donc laissé toutes mes affaires, les armes de chasse etc. chez Paul. Plus tard, juste avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, il me renvoya tout cela y compris les armes que je lui avais offertes. Car, quand je suis rentré ici,  Hitler eut le temps d’introduire une nouvelle loi sur la défense et ils ne m’ont pas laissé partirx.  J’occupais des postes divers dans l’administration et, en automne 1936, j’ai fait connaissance de maman. Nous nous sommes fiancés le 16.05.1937 et mariés le 11.02.1938 à Francfort-sur-l’Oder, dans la belle vieille Eglise de Sainte Marie où maman était baptisée et confirmée. Moi, je cherchais toujours quelque chose à moi. Mais, à cette époque, il était aussi difficile de trouver quelque chose de sensé. S’il y avait quelque chose d’accessible, c’était négligé, mal tenu ou avait un sol faible et n’était pas rentable. Et nous n’avions pas beaucoup d’argent. Nous avons enfin trouvé et acheté au début d’avril 1938  Glienig près de Dahme/Marche, district Jüterbog-Luckenwalde. Un domaine, effet de la parcellisation après la Première guerre mondiale des biens plus grand, avec une distillerie qui ne fonctionnait pas, domaine qui depuis des années n’était bien administré par personne. Il passait de main en main, et chacun voulait en tirer quelque chose pour soi. La distillerie fut vendue, les champs fertiles et la forêt aussi, et les propriétaires précédents vivaient bien au-dessus de leurs moyens en tenant des chevaux de selle etc. Mais les bâtiments étaient en très bon état et en plus le précédent propriétaire avait restauré très soigneusement la maison d’habitation en y installant même le chauffage central.

Le domaine Glienig avait 550 arpents dont 200 arpents de très bonne forêt, donc en gérant bien, on pouvait en faire quelque chose. Il n’était pas cher car il n’y avait pas, en principe, d’animaux d’élevage, mais seulement des machines en état médiocre. Le domaine était situé à près de 130 km au sud de Berlin et, dans tous les villages à Flämming, il n’y avait pas de prairies que l’on pouvait posséder en propre. Il fallait donc les prendre en bail à Baruth chez le prince Solms, qui  possédait là-bas, dans la vallée Ursprungstal, 80 000 arpents de prairies. Au temps de la fenaison, il fallait aller à Baruth, on y rencontrait une énorme quantité de charriots avec du foin. En gérant avec économie, j’ai réussi à aller de l’avant. D’abord, j’ai fermé à clef les trois portes cochères, car les paysans de la région étaient habitués à passer par le terrain du domaine et à s’approprier tout ce qui leur tombait en main! Ensuite, j’ai échangé beaucoup de charrues endommagées chez le commerçant de machines à Dahme en nouvelles, modernes. Puis, j’ai acheté l’inventaire: 10 jeunes vaches pleines et 6 chevaux. Et quand on est agriculteur, il faut savoir dès le plus jeune âge marchander, chez le malin marchand de chevaux j’ai forcé mon prix. Il m’a dit après „qu’il marchandait souvent, mais comme cette fois-ci jamais”. Il ne lui resta qu’une seule vieille vache et un mauvais vieux cheval. Pour m’assurer des revenus, j’ai tout de suite conclu un contrat avec la laiterie à Dahme et je me suis chargé du transport de lait sur le territoire de six communes. Après une année, encore avant le déclenchement de la guerre, j’ai acheté un tracteur Normag-Diesel qui me servait le matin à transporter le lait et, l’après-midi, je l’utilisais dans les champs. Après une année, j’ai réussi aussi à obtenir l’autorisation pour „cultiver les pommes de terre à des fins de reproduction”. Les plants de pommes de terre apportent toujours plus d’argent que les pommes de terre industrielles ou comestibles. Je n’étais pas obligé d’acheter les meubles car j’en avais assez de mes parents qui étaient déposés en partie chez oncle Curt à Prebendowo, et en partie au commis expéditionnaire à Lębork. Nous les avons faits venir et avec cela beaucoup de linge, de rideaux que maman utilise encore. Mais nous n’avions pas de meubles pour la chambre à coucher. Nous ne voulions pas acheter de nouveaux. J’avais un lit de ma mère et maman en avait un de son père. En plus, deux tables de nuit et deux armoires différentes. Mais cela ne nous gênait en rien. Tout l’argent que nous avions, nous l’avons investi dans l’exploitation pour acheter le nécessaire et ce qu’avait maman et qui devait être sa dot – pour acheter le bétail et les machines. Bien sûr pas de „chevaux de selle” ni non plus d’administrateur. Moi, j’avais ma petite auto – une DKW classe maître, je l’avais déjà. A la maison, maman avait une jeune fille – fille d’un paysan – après deux „Pflichtjahrmädchen” [au IIIe Reich filles qui devaient obligatoirement travailler dans une maison pour apprendre le ménage – note du traducteur], et à la fin une fille polonaise très solide et honnête. Au début, j’ai fait des efforts pour mettre à nouveau en marche la distillerie et obtenir par la suite et acheter une nouvelle autorisation  pour la faire fonctionner. Ce fut le plus difficile mais enfin on me donna l’autorisation – comme le domaine était trop petit pour avoir son propre droit à la distillerie (les machines de la distillerie avaient une trop grande puissance) – pour une distillerie coopérative. Avec le domaine voisin et quelques paysans de Glienig, nous avons préparé la distillerie afin qu’elle puisse être exploitée. Mais il n’était pas facile de convaincre les paysans combien précieuse était la distillerie. On le faisait ainsi: on lavait les pommes de terre, de l’orge on faisait du malt. Ensuite, il fallait cuire tout cela. De l’amidon de la pomme de terre et du malt, on obtenait du sucre, et du sucre de l’alcool par fermentation, et à la fin on distillait cet alcool. On obtenait ainsi presque 100% d’alcool, et ce qui était important, des restes des pommes de terre et du malt sous forme de „Schlempe” – une épaisse, sucrée soupe de pommes de terre que tous les animaux mangeaient volontiers et qui était très nourrissante. On avait ainsi pendant tout l’hiver un bon fourrage bon marché, il fallait seulement y ajouter un peu de paille de foin et du foin,  et de l’argent pour de l’alcool. Plus encore, on pouvait utiliser les pommes de terre des champs qui se trouvaient tout près, il ne fallait pas faire de longues heures de voyage pour arriver à la gare et charger la marchandise car la gare la plus proche était à 20 km. L’équipement de la distillerie était en excellent état,  la distillerie  toute entière – un bon bâtiment avec logement pour le distillateur – valait déjà à l’époque 100 000 marks (le dédommagement gouvernemental après la guerre ne me l’avait pas récompensé). Le distillateur habitait au village,  il se maria avec une femme riche. Il ne pouvait donc pas être mieux et ainsi nous faisions de l’alcool, sauf le dernier hiver de guerre. Heureusement d’ailleurs, car quand vinrent les Russes ils s’attendaient trouver des tonneaux pleins et Dieu merci tout était vide et les tonneaux secs! Dans le cas contraire, ce serait pire pour nous. D’une façon générale, la distillerie ne travaillait que l’hiver. Le domaine se composait de la maison d’habitation, de grands et massifs bâtiments d’exploitation où se trouvaient la porcherie, l’étable et l’écurie et la blanchisserie. Ensuite, deux grandes granges, deux maisons pour les domestiques, un four pour cuire et la distillerie, une pompe électrique pour nous approvisionner en eau –  avant encore un moulin à vent – une grande cour, un potager et un verger. Nous y avions aussi trois ruches. Au rez-de-chaussée, il y avait 8 grandes chambres, une grande cuisine,  un cellier, la salle de bain, le WC, et en haut – 4 chambres plus petites et le grenier. Au sommet de la maison se trouvait une horloge de tour avec sa propre boîte et le mécanisme de l’horloge sur terre. L’horloge, il fallait la remonter chaque semaine, elle sonnait les heures pleines et les quarts, on l’entendait aussi loin comme l’horloge de la tour de l’église (l’église se trouvait dans la localité voisine, et le pasteur était notre pasteur Thiel qui vous a baptisé tous les trois). Derrière la clôture se trouvait le « château » d’antan avec les dépendances et nous nous réjouissions toujours que cette ruine avec le parc ne nous appartenaient pas. Il appartenait à l’époque au propriétaire du lombard à Berlin (monsieur Michel), un brave type. Il a aussi obtenu malheureusement l’autorisation d’y faire la chasse. Mais en 1942, ce bail se termina et ce fut moi qui l’ai obtenu. J’ai tué beaucoup de sangliers car à Glienig, il y avait principalement des sangliers. Ce château fut vendu après la parcellisation après la Première guerre mondiale. Entre temps, deux anciennes familles d’ouvriers agricoles sont revenues quand elles ont appris que j’ai organisé une bonne exploitation. De même, les paysans, surtout des petites fermes ont vite remarqué qui administre ici et qu’ils ne pourront plus tout prendre avec eux, ils ont avoué, et j’avais toujours avec eux de bonnes relations. Seulement ledit „bourgmestre”, on appelait ainsi, aux temps d’Hitler, le maire de la commune, et le  chef des paysans locaux, tous les deux à cent pour cent camarades du parti et petits fermiers durant toutes ces années me causaient beaucoup de problèmes. Mais en fin de compte ils ne pouvaient rien me faire. Tout allait donc bien quand après un an et demi éclata la guerre – le 1 septembre 1939! Je fus tout de suite mobilisé mais aussi reconnu comme l’unique soutien de la famille bien que capable de servir à la guerre. Et il fut ainsi tout au long de la guerre. On avait plus besoin de moi à la maison pour assurer aux gens la nourriture que comme soldat au front. On m’a confisqué cependant  tous les chevaux. J’ai tout de suite acheté encore un tracteur gazogène, car il était accessible, et ensuite quatre bœufs de trait. On m’a laissé la voiture comme „voiture de livraison secondaire” pour laquelle j’avais obtenu un bon pour  30 litres d’essence par mois jusqu’à la fin de 1942. En 1942, ce privilège fut enlevé et j’ai acheté deux „doppelpony” (de petits chevaux un peu plus grands que les poneys) pour pouvoir circuler. Pour aller à Dahm ou à Jüterbog (et à Luckenwalde à la mairie) – les deux villes étaient éloignées d’environ 40 km de chez nous. Tous les hommes qui travaillaient chez moi furent incorporés dans l’armée. Pour la récolte des pommes de terre qui commença tout de suite après le déclenchement de la guerre, on m’envoya des écoliers, des ouvrières des usines et des vendeuses des magasins de Berlin! Des gens horribles. Dans notre grande exploitation se trouvait un grand étang rural accessible à tous où vivaient des oies et des canards.  Bien sûr ces „aides aux récoltes” demandaient des oies rôties – le mieux chaque jour – et ne voulaient pas croire que cette volaille n’appartenait pas seulement à nous. L’afflux de prisonniers de guerre polonais, après la campagne en Pologne, me sauva – des hommes très bien et excellents ouvriers agricoles. Comme la distillerie ne travaillait pas encore, et le distillateur habitait au village, on les logea dans le logement du distillateur. Maman devait leur faire la cuisine et cuire le pain. Au printemps suivant, en 1940, les Polonais furent libérés, c’est-à-dire ils sont restés comme ouvriers civils chez les agriculteurs de la région tandis que chez moi vint un groupe de prisonniers de guerre français. Au début, j’étais très sceptique comment ces Français allaient-ils travailler comme ouvriers agricoles. Mais ils étaient aussi bons comme les Polonais et, très vite, même meilleurs vu surtout leur ingéniosité! Ce furent tous des agriculteurs  de Bretagne. Je n’ai jamais plus eu d’aussi bons et aimables gens. Ils jouissaient chez moi d’une liberté complète, surtout lorsque, après deux ans, on révoqua les gardiens (2 soldats allemands) et je fus nommé gardien secondaire. L’un deux, Joly, transportait chaque jour, en tracteur avec remorque à roues en caoutchouc, le lait  à la laiterie à Dahme. Nous lui avons donné une fourrure car les hivers étaient rigoureux. Les Français aussi (12 hommes) habitaient dans la maison du distillateur et avaient leur propre cuisinier. Quant à l’approvisionnement, les gardiens rendaient maman furieuse car l’un voulait avoir la cuisine « comme chez maman » et l’autre voulait chaque jour un rôti de l’auberge. Nous étions tous très heureux quand ils furent révoqués. Quant aux Français, j’avais demandé au stalag de Luckenwalde de m’envoyer en plus un forgeron et un charron car j’avais dans le domaine une forgerie et un atelier de charron. J’ai réussi avec ces deux de mettre tout en ordre. S’ils n’étaient pas là, il aurait fallu dépenser beaucoup d’argent pour payer les artisans des villages voisins. Nous avions aussi une balance (un pont-bascule) endommagée que le charron avec les autres Français avaient réparée et j’ai pu seul peser. Le charron était très doué, une fois il nous a fait une très jolie biche en bois. Et pour vous, deux petits garçons, PH.et Bua, il a fait deux chevaux en bois et deux petits charriots auxquels on pouvait les atteler.  Il répara le charriot et le charriot à ridelles, il donna des glissières au coffre, de nouvelles roues – au fait il en  a fait de nouveaux charriots. Du bois, j’en avais suffisamment dans la forêt. Il a fait toutes les nouvelles portes de la grande écurie. J’ai ordonné aux Français d’enlever la rose des vents du moteur à vent endommagé car elle était complètement rouillée et faisait un bruit insupportable. J’ai ordonné de déterrer l’aqueduc menant à la maison et de l’enterrer plus profondément. L’aqueduc était situé à la profondeur seulement de 1/2 mètre, et à Fläming il y avait toujours des hivers très rigoureux avec beaucoup de neige et les premières deux années l’aqueduc gelait régulièrement. En outre, j’avais un taureau sélectionné reproducteur et un verrat reproducteur sélectionné et je recevais de l’argent pour la couverture des femelles quand les paysans venaient avec leurs animaux. Mon père, aussi longtemps qu’il vivait (jusqu’à 30.01.1942),  venait chez nous plusieurs fois au cours de l’année, il restait quelques mois et il était très heureux en regardant à quel point  ce domaine, si dévasté dans le passé, avait changé. Grâce aux Français, j’avais pu tout mettre en ordre et introduire beaucoup d’améliorations. J’avais encore deux familles allemandes, voire seulement des femmes et des enfants, et aussi quelques familles de l’étranger qui habitaient dans  la maison pour domestiques que nous avons pu équiper en meubles nécessaires car j’en avais suffisamment de Zackenzin.  A l’écurie, j’avais un Polonais très solide, ensuite une famille russe, deux femmes russes, mère avec fille, une famille de l’Ukraine, une Polonaise avec sa fille de quatorze ans et une fillette de six ans. La petite s’amusait avec vous, enfants, et la grande – Irène – nous l’avions à la maison encore tout récemment. La distillerie comme coopérative dépendait de la société Raiffeisen Verband, et celle-ci nous envoyait quelques fois au cours de l’année un expert-comptable qui habitait quelques jours chez nous et faisait les comptes fiscaux. Quand il fut incorporé dans l’armée, nous avons pris chez nous sa femme et ses deux enfants pour les protéger. Nous leur avons préparé deux chambres à l’étage et construit une cuisine à part.  Le grenier pour foin qui était au-dessus de toutes les écuries et étables – très massif – et que je n’utilisais pas dans sa totalité, je l’ai  loué aux berlinois pour qu’ils y gardent leurs meubles et à l’Organisation Todt. Au moment de la défaite en 1945, Glienig était en très bon état. En parlant de moi, les gens disaient que „la monnaie aurait chez moi deux faces”. J’avais aussi les meilleures et les plus modernes machines agricoles et une nouvelle batteuse. Rien ne manquait. Vers la fin de la guerre, tante Lotte était venue chez nous de Silésie, une cousine de maman, vieille institutrice – comme réfugiée, en plus tout le temps était chez nous grand-mère, notre maison était donc pleine de gens. Vers la fin de la guerre, on m’incorpora à Volkssturm. A cause de cela nous ne sommes pas partis à temps comme nous l’avions décidé, et le 20 avril 1945 les Russes nous inondèrent.  On pourrait écrire d’énormes volumes pour présenter ce qui se passait alors. Deux jours avant leur arrivée, nous avons enterré avec maman dans la forêt un coffre en bois avec mes bonnes armes de chasse, coffre revêtis à l’intérieur et à l’extérieur de carton feutre goudronné comme protection contre l’humidité. Il y est probablement toujours  car  la pépinière forestière, qui s’y trouvait, poussa en une grande forêt. Plus loin, nous avons enterré notre argenterie et nos bijoux (déterrés après quelques mois). Le Polonais qui travaillait à l’écurie était venu me voir après quelques heures et me dit: Les Russes nous ont demandé où nous travaillons, nous avons répondu: chez le chef dans le domaine. Les Russes ont demandé: le chef est bon ou mauvais? Nous avons dit: un bon chef. Si nous avions dit mauvais chef, ils t’auraient tout de suite déporté. Comme heureusement le grand château ne nous appartenait pas et moi je n’ai jamais été à la NSDAP ni dans aucune de ses structures (les Russes l’ont tout de suite vérifié), ils n’ont rien fait ni à moi ni à nous tous et ils nous ont permis de rester. Mais ils ont tout de suite fouillé mon bureau et mon armoire à documents. Notre maison est devenue proie des pillards. Et il faut bien le dire malheureusement: au village il y avait beaucoup de femmes – évadées et évacuées de Berlin et ce n’était qu’elles qui pillaient.  Presque toute la nourriture que nous avions pour nos propres besoins, effet de notre propre abattage – à la campagne on est autosuffisant.  Peu après, on chassa tout le bétail et abattit les cochons. Le verrat gisait mangé par les vers sur un tas d’ordures. Les silos de pommes de terre dévastés, les plants et le blé pour la semence volés. La voiture, le tracteur et les poneys pris. Après une semaine, le domaine était complétement dévasté. Plus tard, notre maison fut en deux jours coupée en deux, tandis que  toutes les écuries, les étables, les granges et la distillerie – détruites. Pendant la première semaine, ce furent principalement nos ouvriers étrangers qui nous apportaient à manger. Après une semaine, on les a tous pris et renvoyés dans leurs pays. Les Français aussi nous apportaient quelque chose à manger. Heureusement, en mai, vint une campagne de Russes et ils ont organisé chez nous une grande boulangerie, un fournil. Les officiers habitaient chez nous, avec nous à la maison, et les autres dans la distillerie. Et ils ont chassé les pillards qui passaient en groupes, nous étions donc protégés. Les Russes nous apportaient du lait et en général ils étaient très bons pour tous les enfants. Toute ma vie j’étais exigeant pour ceux qui travaillaient chez moi, mais je les traitais bien et j’étais juste. Une fillette, Polonaise, recevait à manger exactement la même chose que nous. Et ceci l’ont témoigné et les Français, et les familles étrangères. Dans le cas contraire, notre situation serait difficile comme ce fut avec les autres propriétaires et administrateurs, ce que nous avions appris plus tard. Comment et grâce à quoi nous avons survécu, je ne sais pas, mais nous l’avons fait. Les champs n’étaient pas cultivés. Toutes les semences des légumes qu’avait maman ont disparu. Et nous étions bien sept personnes, et, vers la fin d’août, nous rejoignit tante Dete avec son fils cadet (13). Les Russes donnaient toujours aux enfants du pain qu’ils faisaient. Ce fut une sorte de pain de munition et ils donnaient tellement aux enfants qu’il en suffisait aussi pour nous. Les enfants courraient sans cesse après les Russes et mendiaient: „bitte, Ruski, gib Kleber” [s’il te plait Russe donne nous du pain], et Bua, qui avait quatre ans,  y était toujours lui aussi! Au début d’août vint un groupe de GPU (services secrets), il s’est arrêté pour une journée dans notre maison, et le soir ils ont pris tous les hommes qui sont encore restés au village et moi aussi. Ils nous ont transportés à Luckenwalde et enfermés dans la cave de l’usine où déjà depuis mai une centaine de personnes était détenue. Les Russes prenaient souvent quelqu’un au hasard et l’y enfermaient. Maman a réussi à entrer en contact à Luckenwalde avec un monsieur qui devait veiller à ce que l’exploitation se remette à fonctionner. Elle a reçu deux chevaux et pouvait voyager en petit charriot à Luckenwalde. Elle prenait souvent avec elle Paul-Heinrich chez notre dentiste qui avait des enfants de son âge. Ce monsieur, plénipotentiaire dans l’exploitation, envoyait plusieurs fois sa tante à l’usine où nous étions enfermés et me transmettait par elle de la nourriture. Grâce à lui, maman contacta un Juif qui lui facilita l’entrée dans la cour de l’usine, ainsi elle pouvait  me voir et nous tous. Un jour, les Russes ont annoncé que „celui qui estime être ici innocemment qu’il se présente”, je me suis donc présenté et ils m’ont libéré. Sans cela, ils m’auraient déporté en Russie. Nous ne l’avions appris que plus tard de notre instituteur de Glienig.  Ils l’ont amené à Francfort-sur-l’Oder, mais comme il était vieux et malade, ils l’ont renvoyé. Moi – jeune et en bonne santé – ils ne m’auraient certainement pas renvoyé. J’ai couru toute la nuit de Luckenwalde à la maison – 40 kilomètres et, tôt le matin, j’ai cogné à la fenêtre de maman. Nous étions tellement heureux d’être à nouveau ensemble. Pendant ce temps-là à Glienig, comme partout, on procédait à l’expropriation et maman aurait dû avec vous, enfants, grand-mère, tantes Lotte et Dete, et Christian quitter tout de suite la maison.  Le fait que je n’ai jamais été membre de la NSDAP, ce que souligna  fermement le nouveau bourgmestre, monsieur Möller, décida qu’on nous a permis de rester. Et après la parcellisation des terres, je pouvais comme chacun « m’installer » sur ma propre terre avec 30 arpents. Mais tout de suite, on nous imposa dans notre maison une grande famille de réfugiés.

En février 1946, nous étions obligés en quelques jours de quitter Glienig et nous étions transférés à Klein-Ziescht près de Baruth à une trentaine de kilomètre, dans une ferme déjà morcelée. On y transféra aussi les beaux-parents du paysan exproprié qui devait partir et nous étions obligés de partager avec eux une petite maison qui risquait de s’effondre. Nous avions un réduit, une chambre et la cuisine. Grand-mère et tante Lotte habitaient quelque part dans un autre village. Encore avant Noël, Dete partit avec son garçon en Allemagne de l’Ouest. Les paysans à Klein-Ziescht étaient presque tous pauvres. Ils avaient quelques arpents de champs, de prairies et un assez grand morceau de forêt qui se trouvait malheureusement trop loin et qui au fait ne leur servait à rien. La maison (mur prussien) était très vieille et tellement démolie que le chat entrait de la cour dans la chambre par les trous. Bien sûr les toilettes et la pompe à eau se trouvaient dehors.  Une seule cheminée de la cuisine chauffait la chambre et le réduit où vous, enfants, dormiez. La cheminée avait un grand trou du foyer et était utilisé avant pour y cuire le pain. Il fallait beaucoup plus de combustible que nous  possédions, il faisait donc toujours froid et l’eau pour se laver gelait dans la chambre! Nous avons pu pourtant prendre avec nous tous les meubles, deux chevaux et une génisse (qui ne donnait pas encore de lait) –  et encore une fois il fallait tout commencer à nouveau. Quand la vache  a mis bas enfin un veau, j’ai appris à la traire. Mais nous ne pouvions garder qu’un demi- litre de lait pour vous les enfants, et le reste il fallait obligatoirement rendre. Jusqu’à la saison des récoltes, nous arrivions à nous tirer d’affaire quant à la nourriture. Maman devait aider dans les travaux aux champs, et moi je faisais tous les travaux physiques que nous ne faisions pas jusqu’à présent ou ne connaissions pas. Nous avons réussi à obtenir une vieille tondeuse d’herbe et les plus nécessaires machines agricoles. J’avais pu donc commencer à cultiver la terre. Nous avions aussi une paire de poules et deux oies – une couple – qui  donna plus tard  8 jeunes oies. Malheureusement, en décembre, quand on aurait pu déjà les tuer, en une nuit, on nous les vola toutes (cambriolage). Ce fut pour nous une amère expérience. En 1947, en juillet, j’ai rénové la chambre et le réduit et cette cheminée idiote. Quand tout a été fait, nous étions à nouveau obligés de partir. Juste après que les artisans ont reçu leur rémunération. On devait nous transporter dans un camp russe, où l’on séparait les familles, et nous transporter en Russie. A l’aide de deux trafiquants de marchandises de Berlin, nous avons réussi à nous sauver à Berlin avec de bons meubles, deux chevaux et les vêtements. A cette époque mourut tante Lotte. Nous arrivâmes à Berlin le 20.09.1947. Maman avait une bicyclette faites de plusieurs et en bicyclette elle allait souvent à Baruth à l’église. Grâce au superintendant de Baruth, nous avons reçu une chambre dans la baraque de „La Maison de Forêt” (une clinique pour les malades nerveux de la mission intérieure) à Nikolasee (grand-mère était allée habiter chez des amis) et nous y habitions jusqu’au décembre quand enfin nous avions obtenu la possibilité d’habiter à Berlin et on nous accorda 2 et 1/2 chambres à Halensee à Joachim-Friedrichstraße 52 chez madame Struckmann. Nous étions très heureux quand nous avons enfin reçu des bons de ravitaillement. En trois mois nous avons  vendu tout ce dont nous n’avions pas besoin et maman vendit les bijoux de famille (que nous avons déterrés à Glienig) pour acheter au marché noir du pain, du lait en poudre, un sac de pommes de terre et un sac de carottes. Maman faisait la cuisine sur le four dans la chambre.  Mais que fait un agriculteur sans terre à Berlin. D’abord les deux trafiquants, pendant notre fuite à Berlin, nous ont volé les chevaux. Après beaucoup d’efforts et grâce à l’aide juridique, j’ai réussi à récupérer un cheval. Ce cheval, je l’ai présenté à l’expédition Haselhof au travail contre le fourrage. Il eut un cambriolage au garage où se trouvaient nos affaires, et nos vêtements étaient déjà prêts à être évacués. J’étais donc obligé le plus vite possible de trouver une autre place pour déposer nos biens. J’ai réussi à l’expédition à Moabit-Waldstr. Les gens de l’expédition ont transporté nos meubles, meubles de mes parents,  très beaux, vieux, mais qui malheureusement furent abimés. J’ai réussi après de les vendre à un marchand d’antiquités mais encore avant la réforme monétaire. J’étais obligé pour la troisième fois à commencer tout à zéro et je voulais ouvrir une entreprise de transport. Pour le faire, j’avais besoin d’une autorisation pour mener une activité économique et je devais prouver que je l’avais fait déjà. Vous, enfants, vous aviez l’air si pauvres dans ce Berlin affamé que les gens nous abordaient dans la rue. Maman était enceinte avec Eckhart. Il y avait des problèmes au début de sa grossesse et elle dut passer quelques semaines à l’hôpital. Après elle est allé à Dahme et obtint du chef de la laiterie qui y était heureusement encore, le contrat pour la livraison de lait que j’avais signé à Glienig. Moi-même je ne pouvais pas y aller car j’étais poursuivi là-bas par un mandat d’arrêt. Grâce à ce contrat, j’ai obtenu  „l’autorisation officielle pour mener une activité dans le domaine du transport de marchandises”. Au début, j’ai commencé avec un cheval et un charriot, que j’ai organisé quelque part, à transporter le gravats. Je devais moi-même  tout charger et décharger! Le gravats,  je le déchargeais à Lochowdamm, sur Insulaner, j’ai fait le même tas de gravats près de la tour de radio, mais on le transporta après autre part quand on commença à construire l’autoroute. Après, je me suis mis à transporter les colis postaux. Ce fut un bon et léger travail, il se termina après une année car la poste acheta ses propres voitures. Ensuite, vint la saison de la ferraille. J’ai passé un examen de l’achat de la ferraille et des métaux pour pouvoir les acheter. Puis je transportais la ferraille à l’usine de Johannes Haag. En mars 1952, je suis tombé malade, j’ai attrapé une grave pneumonie. A cette époque j’avais déjà un deuxième cheval. Peu de temps après la naissance d’Eckhard, pendant le blocus, mon cheval s’est pendu dans l’écurie sur la bride car il n’y avait pas de litière. Les Anglais m’ont alors prêté un cheval que j’avais pu après le blocus racheter à bon marché. Guéri, j’ai obtenu en septembre un emploi permanent chez Johannes Haag où je pouvais transporter tous les matériaux. Je le faisais comme sujet autonome et on me payait à l’heure. Pendant ma maladie, maman expédia le cheval à Kladow à Arbeiter-Wohlfart [AWO – organisation allemande d’aide sociale – note du traducteur]. AWO assurait dans l’ancien camp de la Wehrmacht refuge aux jeunes rescapés de la RDA.  Il y avait tous les ateliers artisanaux possibles donnant de l’emploi aux jeunes. Là-bas le cheval faisait de légers travaux (sur place il y avait un forgeron), il y resta pendant toutes les vacances et était en bonne santé quand je pouvais le récupérer en septembre.  Mais je l’ai vendu ainsi que le charriot et j’ai acheté une petite voiture de livraison (une voiture Opel particulière transformée avec petite remorque). Cette voiture me servait d’abord à transporter la ferraille et ensuite, comme je l’ai déjà dit, je m’en servais en travaillant chez Johannes Haag. Pendant les années suivantes, j’avais encore deux fois acheté de seconde main une bonne voiture de livraison de  1,5 tonne et je m’en servais jusqu’au moment où chez Johannes Haag l’entreprise cessa de fonctionner, son usine presque centenaire tomba en faillite en 1964. Après, je voulais être chauffeur de taxi (tout cela se passait en 1964) et j’ai passé un examen pour le devenir et j’ai obtenu la permission de „transporter des personnes”. Ensuite, par l’intermédiaire du pasteur Trompke, j’ai reçu le poste d’administrateur du cimetière à Rudow auprès de la paroisse. Mais cela vous le savez déjà. J’avais dans ma vie beaucoup de professions et chaque fois j’étais obligé de repartir à zéro. Au fait pendant sept ans, je m’occupais de tout: 7 ans Zackenzin, 7 ans Glienig, 7 ans la ferraille et le gravats, 7 ans le cimetière Rudow. Le jour de mon 40e anniversaire il y avait une terrible tempête de neige, je vous en parlerais encore. Bref, après mon  50e anniversaire, j’ai eu une très grave pneumonie et je suis resté quatre mois à l’hôpital Auguste-Victoria-KrankenhausX. Mon 60e anniversaire, c’était un jour ouvrable et à part ça tout allait bien. Le jour de mon 70e anniversaire, j’étais couché à Oskar-Helene-Heim dans un lit de plâtre. Le plus beau était mon 80e anniversaire où vous étiez tous les quatre présents! Ah, le 40e anniversaire. Les hivers à Fläming étaient toujours rigoureux et neigeux. Le tracteur avec le lait était couvert de grandes couches de neige. Les gens de tous les villages devaient venir et enlever cette neige.  Quand ils avaient enlevé la neige des roues de devant, celles de derrière étaient sous la neige. Le lait ne parvint à la laiterie qu’à midi, et le tracteur ne revint que très tard dans la nuit. Dans chaque localité, il a fallu le déterrer de la neige. Une chose pareille, je ne l’ai  même pas vécu en Poméranie.

J’ai essayé très brièvement de raconter ma vie. C’est Paul-Heinrich qui en eut l’idée en août 1986 quand nous étions à Altmühtal. Il estimait que nous devions écrire tout cela pour Vous, pour que ce ne soit pas oublié.”

Année 1986.

P.S. „Papa et moi nous avons terminé cette histoire avant Noël – je notais ce qu’il disait. Papa ne peut plus malheureusement signer. J’ai recopié tout une fois de plus, je tenais beaucoup à vous transmettre l’histoire de Papa comme son héritage. Papa souffrait terriblement, surtout physiquement, et il se sollicitait tellement pour nous tous et nous lui en serons tous  très reconnaissants.

Mars 1987. Votre maman Birgitte Ewest”